En mai 2022, l’ÉTIB a perdu un ami, j’ai perdu mon père spirituel et le monde de la traduction a perdu une étoile qui brillait (et brillera) dans son firmament. André Clas n’est plus de ce monde mais il restera vivant à travers ses maintes réalisations et dans les bons souvenirs de celles et ceux qui ont eu le privilège et l’honneur de le connaître. En guise de reconnaissance et pour lui rendre hommage, je relate quelques souvenirs qui révèlent cinq facettes de cette personnalité hors du commun !
L’enseignant passionné
J’ai rencontré Monsieur André Clas, professeur titulaire au Département de linguistique et de traduction, pour la première fois, lors de mon séjour d’étude à l’Université de Montréal en 1993. Il m’a chaleureusement accueillie dans son modeste bureau et m’a orientée dans le choix des cours à suivre. J’ai découvert en lui le brillant enseignant passionné par la matière qu’il enseigne, en l’occurrence la terminologie. Je ne cesse de le citer dans mes cours notamment quand j’explique à mes étudiants l’importance de la traduction des textes de spécialité. Il disait en substance : « Le monde ne s’arrêtera pas de tourner si une œuvre littéraire n’est pas traduite mais il s’arrêtera de tourner si le dernier manuel relatif à un nouveau produit n’est pas traduit. » Il est bien entendu inutile de dire que sa passion pour la traduction et la terminologie est contagieuse et que ce fut un privilège, voire une chance, que de suivre ses cours. Les séminaires qu’il a animés à l’ÉTIB (notamment en 1994, 1995 et 1999) sont d’ailleurs restés gravés dans la mémoire des Étibiens.
L’organisateur hors pair
Omniprésent et soucieux des détails, il organisait des manifestations de grande envergure qui se distinguaient par leur qualité scientifique et par la notoriété des intervenants. Les Journées scientifiques du réseau LTT (à Montréal en 1993, à Lyon en 1995, à Tunis en 1997, à Beyrouth en 1999, etc.) étaient pour les chercheurs du monde entier un rendez-vous à ne pas rater tous les deux ans. La parole était donnée aux grands noms tout comme aux jeunes chercheurs qui faisaient leurs premiers pas car André Clas veillait toujours à donner de la visibilité aux travaux de ces derniers et à les encourager. Je n’oublierai pas son intervention auprès des organisateurs des Vèmes Journées scientifiques de Tunis quand il a exigé que l’on me délivre un visa, qui m’avait été au préalable refusé, et ce dans les 24 heures, afin que je puisse participer en tant qu’intervenante. Sa volonté a été faite… et c’est grâce à lui que j’ai pu présenter ma première communication dans un colloque international !
Le chercheur polyvalent et surtout innovant
Il était terminologue, lexicographe, lexicologue, traductologue, linguiste, etc. en plus d’être enseignant. Il est impossible d’énumérer tous les titres que Monsieur Clas a portés. Je n’en mentionnerai que quelques-uns notamment ceux qui ont marqué le monde de la traduction, de la traductologie et de la terminologie.
Fondateur et directeur du Groupe de recherche en sémantique, lexicologie et terminologie (GRESLET) au Département de linguistique de l’Université de Montréal en 1984, il y a accueilli des stagiaires d’Afrique, d’Europe et d’Asie. Ainsi, le GRESLET a été le point de départ de leur carrière universitaire au Canada ou dans le monde entier.
De 1967 jusqu’en 2007, André Clas a dirigé la prestigieuse revue Meta : Journal des traducteurs, soit 40 années au cours desquelles cette revue a acquis une notoriété internationale et a été la première à être mise en ligne par Érudit en 1998.
Co-fondateur de TERMIUM, devenue l’une des plus grandes banques de données terminologiques et linguistiques dans le monde, du Dictionnaire bilingue canadien et membre correspondant étranger du Trésor de la langue française, on lui doit notamment la large diffusion du terme courriel.
L’ami de l’USJ et du Liban
Depuis sa première visite au Liban au début des années 1990, il a apporté un soutien inconditionnel à l’ÉTIB et à l’USJ. En tant que professeur invité et en tant qu’ami des anciens recteurs de l’USJ, feu R.P. Sélim ABOU s.j. et feu René Chamussy s.j., ainsi que des anciens directeurs de l’ÉTIB, Jarjoura Hardane et Henri Awaiss, il a animé à l’ÉTIB de nombreux séminaires de terminologie et a fini par choisir Beyrouth pour y organiser les VIes Journées scientifiques du réseau LTT en 1999, des journées qualifiées de mémorables par tous les participants. En guise de reconnaissance, feu R.P. René Chamussy, alors recteur de l’USJ, lui a remis la Médaille de bronze de l’Université Saint-Joseph. Le 15 avril 2005, il a aussi reçu la Médaille Joseph Zaarour qui est attribuée par l’ÉTIB, depuis 2003, à tous ceux qui ont contribué à la promotion des langues et de la traduction.
Le papa dans le vrai sens du terme
Père de deux enfants et grand-père de cinq petits-enfants, Monsieur Clas était très proche de sa famille et en parlait toujours avec affection et fierté. Sa relation si fusionnelle avec son épouse Sylviane, qui l’accompagnait comme son ombre dans presque tous ses voyages, était admirable. « Tout au long de nos 67 ans de mariage, il a été le père, le grand-père adoré et l'amour de toute ma vie », m’a confié sa femme Sylviane dans l’un de nos échanges après son départ.
À part sa famille, il avait aussi ses « stagiaires » du GRESLET qui lui vouaient une admiration sans égal et à qui il portait une affection particulière.
J’ai vu, André Clas, mon père spirituel, pour la dernière fois à Strasbourg en 2015 à l’occasion de la tenue des Xes Journées scientifiques du réseau LTT à Strasbourg. Comme à chaque rencontre, Sylviane, sa femme, et lui-même tenaient à me consacrer un moment et ont demandé au président du réseau LTT à cette époque, Marc Van Campenhoudt, de me convier au diner qu’il avait organisé spécialement pour eux car ils « seront heureux d'avoir un peu de chaleur du Liban à leur table » (dixit). Depuis, nous avons gardé contact par courriel mais, à partir de 2020, ses réponses se faisaient de plus en plus laconiques et rares.
« André est décédé. Il est parti paisiblement sans souffrances. ». C’est à la fin du mois de mai 2022 que je reçois la terrible nouvelle dans un bref courriel envoyé par son épouse Sylviane qui avait la gentillesse de me donner de ses nouvelles régulièrement.
« À la revoyure », m’avait dit Monsieur Clas à la veille de mon départ de Montréal à l’issue de mon séjour d’étude. Cette expression, il me l’a apprise. Je lui dis alors : « À la revoyure, monsieur Clas, dans un monde meilleur, merci pour tout et reposez en paix ».
Lina SADER FEGHALI
Professeur
Pour mieux connaître André Clas, il est recommandé de lire cette entrevue passionnante dans la revue META : Bastin, G. L. (2020). André Clas – Une vie consacrée à la traduction, la terminologie et la lexicologie. Meta, 65(2), 499–520.