De gauche à droite, M. le président Samer Younès et Me René Abi Rached
A l’automne 2019, la Faculté de droit et des sciences politiques lançait une réflexion sur le thème de la justice qui s’est ouverte, le 28 et le 29 novembre 2019, avec un colloque remarqué sur l’indépendance de la justice. Ce colloque avait été l’occasion d’une première intervention publique du premier président de la Cour de cassation et président du Conseil supérieur de la magistrature, M. Souhail Abboud, nommé quelques mois plus tôt, et du bâtonnier de Beyrouth, M. Melhem Khalaf, alors fraîchement élu.
C’est dans la même perspective, celle d’une réflexion académique et constructive sur la justice, que se situe la conférence-débat organisée par le Cedroma le 6 juillet 2022, après une interruption forcée de ses activités présentielles du fait de la pandémie. La conférence, qui avait pour intervenant principal le juge Samer Younès, président de chambre à la Cour d’appel du Liban Nord et ancien avocat général près la Cour d’appel de Beyrouth, portait sur un thème qui se situe au cœur de l’actualité juridique et judiciaire : « Le ministère public, quels pouvoirs pour quel rôle ? ».
Prenant la parole à l’ouverture, le professeur Marie-Claude Najm a rappelé que la réflexion sur la justice, qui n’est certes pas nouvelle, est « aujourd’hui renouvelée à la faveur d’une triste actualité : celle où l’on voit chaque affaire judiciaire d’importance transformée en bataille politique et confessionnelle, et le poisson finalement noyé dans la banalisation du fait accompli, et dans l’oubli du temps qui passe ».
Le professeur Najm a ensuite évoqué les nombreuses questions suscitées par le thème choisi. Le magistrat du parquet est-il un juge comme les autres ? Est-il l’avocat du pouvoir, ou l’avocat du seul intérêt général ? Etant l’une des parties au procès, est-il une partie comme les autres ? Doit-il être impartial ? Et s’il ne l’est pas, peut-il être récusé pour partialité ? Initialement inspirée du système français, notre législation relative au parquet s’en est éloignée, en adoptant en 2001 une réforme qui a, d’une part, supprimé l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice - conformément au principe de la séparation des pouvoirs - mais qui a, d’autre part, considérablement renforcé l’autorité du procureur général près la Cour de cassation sur les magistrats du parquet, ce qui, comme toute concentration des pouvoirs, n’est pas sans danger. En présence de textes parfois lacunaires, des réformes sont-elles nécessaires quant au statut et aux pouvoirs du parquet ?
Dans une communication de qualité alliant une rare maîtrise de la théorie et de la pratique, M. Samer Younès s’est attaqué à ces questions en y apportant des éclairages intéressants, mettant en lumière les failles de notre système judiciaire et de nos pratiques et formulant un certain nombre de propositions. Pour ce faire, M.Younès a puisé à la fois dans les résultats de sa recherche universitaire - il a récemment soutenu une thèse de doctorat très remarquée sur l’indépendance et l’impartialité du ministère public - et dans la richesse de l’expérience judiciaire qu’il a vécue lorsqu’il était avocat général près la cour d’appel de Beyrouth. On se souvient, à cet égard, qu’il avait exercé ses fonctions avec courage et minutie, n’hésitant pas, dans des dossiers très délicats, à s’opposer aux ingérences auxquelles d’autres avaient parfois cédé.
Assumant le rôle de modérateur-discutant, Maître René Abi Rached, qui a longtemps enseigné le droit pénal à la Faculté de droit, a ensuite rebondi sur les idées principales de la communication pour amorcer la discussion par quelques réflexions, et modérer un débat passionnant avec un public composé d’universitaires et de praticiens.