Les participants voient dans le programme Youth4Governance une opportunité d’impliquer les jeunes dans le développement de projets innovants au niveau national. Photo Siren
In L'Orient-Le Jour / Par Chantal EDDÉ, le jeudi 15 septembre 2022
S’impliquer dans l’administration publique libanaise, présenter des moyens pour remédier à ses failles et la rendre plus efficace, tels étaient les objectifs des jeunes qui ont participé au programme Youth4Governance, entre juin et septembre, autour de la thématique « Reconquête de l’État : une approche fondée sur la recherche ».
Lors de la cérémonie de clôture de l’initiative citoyenne Youth4Governance (Jeunesse pour la gouvernance) qui a eu lieu le 12 septembre au campus des sciences sociales de l’USJ, les étudiants participants ont présenté les résultats du stage de deux mois qu’ils ont accompli cet été. Deux mois durant lesquels ils ont profité de formations et d’ateliers sur l’ingénierie, la recherche, l’analyse, la visualisation ou encore la présentation des données. Au total, 42 étudiants, venus de plusieurs disciplines et universités au Liban, ont été réunis par cette 2e édition du programme organisé par l’Université Saint-Joseph (USJ), l’entreprise privée Siren et l’Inspection centrale. « Centré autour de la notion de “citoyen-expert”, le programme met la science au service de la réforme et du changement, en donnant aux étudiants les outils méthodologiques qui vont leur permettre de décortiquer les mécanismes et les processus au sein de l’État, ainsi que d’en identifier les failles systémiques », explique Carole Alsharabati, initiatrice du programme et directrice de recherche à Siren. Il s’agit ainsi pour eux de « trouver des solutions aux problèmes qu’on y rencontre, en utilisant leur savoir universitaire », ajoute Rita Chemaly, coordinatrice du programme. Coachés par des anciens et des enseignants de l’USJ ainsi que par des membres de Siren, les participants ont été répartis en deux grandes équipes, celle des consultants/chercheurs et celle des ingénieurs, divisées par la suite en sous-groupes. Afin qu’ils soient mieux sensibilisés au rôle de la science dans le secteur public et aux prises de décision à ce niveau, ces derniers ont rencontré des décideurs politiques, ministres, directeurs généraux, députés, bailleurs de fonds ou représentants des agences des Nations unies. Pour Ronald Abi Haidar, diplômé en droit de l’Université de La Sagesse, il était essentiel de prendre part au programme Youth4Governance afin d’utiliser ses compétences à bon escient et « améliorer le pays plutôt que de poursuivre un stage traditionnel au sein d’un cabinet d’avocat ».
Auprès de l’Inspection centrale et des municipalités
Au sein de l’équipe des consultants/chercheurs, un groupe d’étudiants a travaillé avec l’Inspection centrale sur les recommandations qu’elle a émises au cours des 20 dernières années, et qu’elle a adressées aux administrations publiques libanaises. Leur objectif ? « Promouvoir et soutenir les réformes au sein des institutions étatiques qui relèvent du ressort de l’Inspection centrale », explique Rita Chemaly. Rowan Ibrahim, étudiante en 3e année de droit à l’Université libanaise, fait partie de ce groupe. « Je voulais élargir mon cercle juridiqueet acquérir plus de connaissances en ce qui concerne le secteur public au Liban, du point de vue d’une étudiante et d’une consultante, et non pas en tant que citoyenne observatrice », confie-t-elle. Son groupe a ainsi cherché à « connaître les failles dans les administrations et institutions publiques, afin de savoir où doivent commencer les réformes », explique-t-elle.Dans le même groupe, d’autres étudiants ont conçu une stratégie de développement au niveau des municipalités, en se basant sur les informations publiées par l’ONG Impact Liban. Et cela, « dans le but d’offrir une vision stratégique pour une meilleure utilisation des ressources au niveau local », note Rita Chemaly. Dans cette perspective, Myriam Kodeih, diplômée en sciences politiques et administratives de l’USJ, a souhaité effectuer son stage afin de comprendre le déroulement du « travail au sein des administrations publiques » et « d’accéder sans préjugés à ce monde relativement clos au Liban ». Évoquant l’État qui « est en faillite aujourd’hui » et la municipalité qui représente « la seule unité administrative décentralisée au Liban », elle souligne que l’objectif du groupe était d’aboutir à un plan réalisable et cohérent qui adhère à la réalité libanaise et dont les résultats répondent à l’urgence de la crise. « Cet objectif est d’ordre moral et c’est peut-être cela qui nous a poussés à faire de notre mieux. On savait au fond de nous que notre travail pouvait avoir des effets sur toute la société », avoue-t-elle.
Des projets pour la transformation digitale de l’administration publique
Le 3e groupe des jeunes consultants/chercheurs s’est penché sur les conditions socio-économiques de ce Liban en crise, évaluant les critères de la nouvelle pauvreté et ses conséquences sur la population, ainsi que la portée du programme DAEM lancé par le ministère des affaires sociales pour aider les familles dans le besoin. Pour ce faire, les étudiants ont sillonné toutes les régions libanaises et mené une recherche qui a combiné les approches qualitatives et quantitatives. « Le travail de terrain aura constitué une occasion pour les 22 participants de prouver leurs capacités à faire de la recherche orientée vers l’action, en développant une méthodologie de recherche solide, en collectant des données de plus de 1 729 répondants et en les analysant », assure Rita Chemaly. Travaillant au sein de ce groupe sur le filet de protection sociale – programme Aman –, Ronald Abi Haidar indique que le but de l’étude a consisté, d’une part, à déterminer si ce programme « a réellement atteint les familles dans le besoin » et, d’autre part, à « développer et améliorer les indices de pauvreté actuellement mis en œuvre ». Dans son rapport, le groupe d’étudiants travaillant sur cet axe a annoncé avoir pu adapter ces indices aux circonstances actuelles. « Ce qui est certain, c’est que la crise n’a épargné personne. Les ménages ont dû redistribuer leurs priorités en ce qui concerne leurs besoins essentiels et trouver leurs propres méthodes pour s’adapter à la volatilité de la situation », déplore-t-il.Par ailleurs, les équipes d’ingénieurs ont mené 11 projets différents, « dans le but de participer au développement de solutions numériques innovantes qui peuvent aider à réformer les institutions étatiques fournissant des services publics aux citoyens », note Rita Chemaly. Ces services devront être ainsi sécurisés et performants, inclusifs, avec moins de papiers, sans interférence humaine et conflits d’intérêts, offerts en toute transparence. Fouad Saba, étudiant en 5e année de génie informatique et communication, filière génie logiciel, à l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth (ESIB), a travaillé avec son groupe sur l’adaptation aux institutions publiques libanaises du programme X road, initialement développé par l’Estonie, et devenu aujourd’hui un logiciel open-source libre d’accès. « X road interconnecte toutes les institutions publiques et leur permet de communiquer entre elles, de manière à épargner aux citoyens les tracas des formalités administratives, explique Fouad Saba. Nous espérons, après l’effort que nous avons mis, voir un jour ce projet établi dans les institutions publiques afin d’améliorer les procédures officielles et que ça soit un outil pour lutter contre la corruption. » En somme, ce qui compte pour ces jeunes, c’est que leurs études ne soient pas uniquement « des mots sur du papier », comme le relève Ronald Abi Haidar.
« Il est impératif que nos résultats puissent influencer les décideurs et que le gouvernement mette en œuvre des politiques publiques fondées sur des données concrètes, afin de bien répondre aux besoins de la société libanaise, surtout en ces temps difficiles », ajoute-t-il. Les participants voient également dans le programme Youth4Governance une opportunité d’impliquer les jeunes dans le développement de projets innovants au niveau national. « Ce qui me touche le plus, c’est que ce stage puisse donner l’envie aux jeunes comme moi d’intégrer la fonction publique, car un État sans jeunes est un État sans avenir », conclut Myriam Kodeih.