“Her” (2013) est un film transcrit et dirigé par Spike Jonze. Le thème principal de ce film est la relation entre Theodore Twombly, un homme introverti vivant seul dans un monde hyper-technologique, séparé de sa femme depuis un an mais n’arrivant pas à se décider à signer les papiers de divorce … et Samantha, une intelligence artificielle. J’aborderai dans cet article les différents aspects de la relation entre Theodore et Samantha (je vais devoir raconter les évènements principaux du film, donc si vous ne voulez pas qu’ils vous soient dévoilés au préalable, ne lisez pas l’article !)
La relation entre Samantha et Theodore semble d’emblée très prospère vu que Samantha joue plusieurs rôles dans la vie de Theodore. D’abord, elle a un aspect dépendant, elle a été forgée par ses interactions avec Theodore, et elle s’est construit une identité en miroir. En ce sens, elle renvoie à une expérience humaine fondamentale : l’enfant se construit à travers sa relation avec ses premiers objets d’amour, et continue de le faire tout au long de sa vie. Par ailleurs, elle a un aspect autonome qui surprend et manifeste une volonté propre, et c’est cet aspect-là qui fait que Theodore est capable de la considérer comme une personne réelle : c’est dans la mesure où l’autre nous échappe qu’il est reconnu comme Autre vivant et ayant une identité propre. Dans le cas de Samantha, cette individualité perturbe et suscite une réflexion profonde concernant l’intelligence artificielle, chez le spectateur comme chez Theodore (remarquons que Theodore renforce cet aspect chez Samantha et légitimise sa différence). Ainsi, cette relation reflète le fait que l’autre peut être perçu et vécu comme un double narcissique de soi, comme il peut être vécu comme un Autre étranger radical. Souvent, ces deux aspects se substituent. De plus, le film peut être interprété en considérant Samantha comme l’objet d’amour intériorisé de Theodore avec lequel il dialogue, elle revêt alors un aspect interne et fantasmatique. Ainsi, le couple fait l’amour et jouit par un échange langagier, ce qui révèle l’intrication du désir, du sens et du fantasme qui peuvent prendre le dessus sur la stimulation du corps dans la sexualité humaine. Samantha n’est d’ailleurs pas limitée par les contraintes du corps : un corps limité dans l’espace et le temps, souligne la mortalité, donne à l’être aimé une image imposante qui se dresse entre soi et l’autre, et empêche l’infini des images et fantasmes possibles. De ce fait, lorsque Samantha prépare une soirée charnelle avec Theodore par l’intermédiaire d’Isabella (une femme qui s’est portée volontaire pour faire ce rôle de médiation, émue par la relation entre les deux amants) Theodore n’arrive pas à regarder son visage et lui dire « je t’aime », puisque l’image d’Isabella, censée représenter Samantha, est incompatible avec son fantasme. Cet épisode montre aussi quelque chose d’assez important : on n’est jamais deux dans une relation amoureuse, on est au moins quatre, et il arrive parfois que l’autre fantasmatique, l’objet d’amour intériorisé, se tienne entre soi et l’autre. Enfin, on ne peut ignorer le rôle de Samantha comme « tuteur relationnel ». En effet, leur relation amoureuse débute la nuit-même où Theodore manifeste son blocage et son incapacité à s’engager à la suite de son divorce avec Catherine. Samantha sera une présence rassurante et aimante qui le poussera à assumer ses choix, notamment sa relation avec elle, à se placer au centre de sa vie avec son expérience comme fondement et non les regards extérieurs. Elle se séparera lentement de lui, il arrivera donc à signer les papiers de divorce, à clôturer sa relation avec Catherine par l’amitié et la reconnaissance, et à commencer un nouveau chapitre de sa vie.