Le design thinking, une approche primordiale dans le contexte multicrise au Liban

Jeudi 16 décembre 2021

La Dr Ursula el-Hage est enseignante et directrice du service de l’insertion professionnelle et du Centre d’entrepreneuriat à l’USJ. Photo IDE Business School

In L'Orient Le - Jour  par Micheline Abi Khalil  le jeudi 16 décembre 2021​

À l’Université Saint-Joseph, le design thinking (ou esprit design) sert à outiller les étudiants, et à accroître leurs capacités à créer des solutions et à générer de nouvelles idées en parfaite adéquation avec leurs besoins, actuels ou futurs.

Cocréation, convergence/divergence, confiance créative, intelligence collective, empathie, idéation… Des mots de plus en plus à la mode et qui reviennent dans les conversations lorsque l’on évoque le design thinking, un concept qui a gagné l’enseignement supérieur à grande vitesse depuis quelques années. Ouverte à cette pédagogie collaborative et pluridisciplinaire, l’Université Saint-Joseph (USJ) a, depuis 2015, introduit le concept dans ses enseignements, plus précisément au sein de l’École supérieure des ingénieurs de Beyrouth (ESIB), l’École libanaise de formation sociale ainsi qu’à la faculté de médecine dentaire. Depuis, cette approche globalisée connaît un réel engouement, puisque, de 6 étudiants inscrits en 2015, l’université accueille actuellement 130 étudiants par semestre, comme l’affirme la Dr Ursula el-Hage, enseignante et directrice du service de l’insertion professionnelle et du Centre d’entrepreneuriat à l’USJ.Mais pourquoi le design thinking et à quoi sert-il? « Il s’agit d’un processus qui nous permet de former les étudiants à adopter une nouvelle approche centrée sur l’humain pour apporter à une problématique donnée, comme le trafic routier par exemple, une solution innovante », explique-t-elle. « Dans le contexte de multicrise que traverse notre pays, cela revêt une importance primordiale, surtout qu’il est difficile d’utiliser les mêmes façons de penser qu’en temps normal. Chaque défi constitue une occasion pour repenser notre façon de faire et nous incite à nous poser des questions afin de construire un avenir meilleur pour le Liban. Dans cette optique, la conception centrée sur l’humain peut nous aider à le faire, d’autant qu’elle nous permet de naviguer dans l’ambiguïté de ces temps difficiles à travers l’empathie, le recadrage et l’expérimentation », remarque encore la Dr Hage. « Les jeunes étudiants apprennent ainsi dans un premier temps à plancher sur le problème, à l’analyser et le cadrer, et à comprendre son environnement avant de faire une reformulation et de trouver l’idée qui permettra de le résoudre pour concevoir enfin le prototype qui incarnera même ce concept », ajoute-t-elle. Ce faisant, ils doivent respecter trois principes fondamentaux: la désidérabilité, la faisabilité, et la viabilité financière et économique.

Sortir des sentiers battus

Revenant sur les techniques et la manière de procéder que les jeunes universitaires sont appelés à suivre, Ursula el-Hage précise « qu’au début de chaque semestre, 8 à 10 entreprises sont recrutées ». « Ces dernières proposent des problématiques. Durant cette première phase, les étudiants sont invités à cerner le problème à résoudre, avant de déterminer ce qui en assurera le succès », indique-t-elle. Ils sont ainsi amenés à creuser le sujet, à le visualiser sous différents angles, à s’immerger en quelque sorte dans la vie de leurs interlocuteurs, à exploiter les recherches disponibles et à réviser l’historique des problèmes rencontrés, mais surtout à idéater (générer de nouvelles idées). Ceci consiste à repérer et préciser les besoins et motivations des clients, consommateurs ou utilisateurs finaux, faire des brainstormings et laisser libre cours à leur imagination pour générer une large gamme d’idées et de possibilités afin de répondre aux besoins sans les juger. « La phase d’idéation est une étape-clef », indique-t-elle, d’autant qu’elle privilégie l’esprit de codesign, à savoir un mode de travail collectif reposant sur la cocréation, la multiplication et la confrontation des idées, l’échange, le partage et la concertation, la collaboration et la communication.S’ensuit une étape tout aussi importante : le prototypage. En effet, les étudiants combinent, croisent et affinent les idées proposées en créant des prototypes, en recevant un retour des utilisateurs potentiels, en révisant les objectifs, en analysant l’intérêt à chaque moment avant de tamiser les idées et ne retenir que la plus novatrice. Ils s’activent enfin à exécuter l’idée en rédigeant le plan d’action tout en définissant les responsabilités et les ressources nécessaires, avant de délivrer au client la conception finale. En même temps, ils vont apprendre en recevant un feedback si la solution validée répond à l’objectif de départ et apporter éventuellement les ajustements ou améliorations requises. Rappelant qu’une équipe pluridisciplinaire représente un atout dans le domaine de l’innovation, la directrice du Centre d’entrepreneuriat plaide en faveur du multiculturalisme, d’autant que le design thinking impose de faire coopérer des gens de différents horizons. « Plus on est mixte, plus on est riche », remarque-t-elle, soulignant l’importance de cette forme d’apprentissage adossée sur l’expérience, et qui permet de gérer l’ambiguïté et de retransformer la réalité en éliminant les limitations qu’ont les étudiants. « Parfois, l’enseignant n’a pas de réponse à un problème quelconque, et c’est à travers cette façon axée sur la recherche collective d’une solution potentielle que l’équipe parviendra ensemble à trouver une réponse adéquate », conclut-elle.Bien que né dans les années soixante, le concept de design thinking ne s’est développé en tant que méthodologie d’innovation que dans les années 90, au sein de l’Université de Stanford. Inspiré ouvertement du design et de son approche utilisateur, il n’a cependant connu son véritable essor que dans la Silicon Valley au milieu des années 2000. La particularité de ce processus, basé sur une vision globale, réside également dans le fait qu’il permet de sortir des sentiers battus pour laisser parler sa créativité en posant les bonnes questions afin d’apporter les bonnes réponses. Et ce quel que soit le domaine d’application, économique, commercial, politiques publiques ou autres, au sein d’une entreprise, une ONG, un gouvernement, etc. Moyennant, entre autres, l’empathie, la créativité, la co-création et l’itération, il s’approprie ainsi les outils du design pour gérer des projets innovants et régler des problèmes, facilitant au passage la conception de produits et de services novateurs à l’adresse des utilisateurs, collaborateurs, consommateurs ou usagers.