Maelle Liut. Photo Lucia Cebreiros
Par Lamia Sfeir Darouni, in LOrient-Le jour le jeudi 4 novembre 2021
Alors que les jeunes Libanais quittent le pays par milliers, fatigués du chaos et de l’incertitude quant à leur avenir, des centaines de jeunes étrangers poursuivent leurs études au pays du Cèdre, envers et contre tout.
« Lorsque j’ai raconté à un copain libanais vivant à Paris que j’allais au mois de septembre au Liban poursuivre ma licence, il m’a traitée d’inconsciente et m’a dépeint la vie dans le pays comme un enfer qu’il a fui sans regret », raconte en riant Marie Destoppeleir qui entreprend sa troisième année de licence en sciences politiques à l’Université Saint-Joseph (USJ). « Il m’a raconté l’anarchie qui y règne, le manque d’eau et d’électricité, la crise économique. J’ai eu peur, certes, et j’ai hésité à venir. Mais j’ai quand même sauté sur l’occasion lorsque j’ai vu qu’il y avait une opportunité d’échange à l’USJ dans le cadre d’Erasmus (programme européen d’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités à travers le monde, NDLR). » Cette Française de 19 ans, qui admet « qu’en choisissant le Liban, elle savait qu’elle n’aurait pas le même luxe que dans les autres pays », avoue « qu’elle pensait, au tout début, ne jamais pouvoir y arriver ». À Beyrouth, l’étudiante en sciences politiques se fait, « difficilement », aux pénuries d’eau très fréquentes dans son appartement, vit au rythme des coupures du courant et apprend à jongler avec les caprices de l’internet.
Marie Destoppeleir. Photo Gwendoline Magri
« Bizarrement au bout d’une semaine, je me suis adaptée à tout cela, et je me suis sentie extrêmement bien et surtout en sécurité dans ce pays que je visite pour la première fois », avoue-t-elle enjouée. À la question « Pourquoi avoir choisi le Liban aujourd’hui alors qu’il traverse l’une des pires périodes de son existence ? » la jeune fille répond que « c’est la région qui l’intéresse » et que « cela fait très longtemps » qu’elle est « passionnée par les pays du Moyen-Orient ». Elle ajoute qu’aujourd’hui, elle est « subjuguée par Beyrouth, sa diversité de cultures, de langues et des différentes religions qui se côtoient », admettant toutefois qu’elle est choquée par « le manque de gestion des déchets dans les rues et la destruction des quartiers et des immeubles éventrés par l’explosion », mais « qu’elle se sent très bien, malgré la vie chaotique de ce pays excessivement attachant ».
Emma Bonnet. Photo Antoine Kasher
La facilité d’adaptation des Libanais est impressionnante
Même impression pour Emma Bonnet, étudiante française qui a choisi de poursuivre son master en sciences politiques à l’USJ pour travailler principalement sur la géopolitique et l’histoire des conflits au Moyen-Orient. « Le Liban se prête très bien à ce que je veux faire, et aucun autre pays dans la région ne m’intéresse autant », précise-t-elle, concédant tout de même avoir beaucoup hésité avant de franchir le pas. « C’était très compliqué d’avoir un point de vue objectif sur la situation du pays, chaque média en France donnant sa version des faits. Mais, pour moi, c’était important d’y aller. J’y suis depuis le mois de septembre et je ne le regrette pas », confie-t-elle. Pourtant, à son arrivée, Emma admet avoir été déboussolée par le manque d’infrastructures dans le pays, l’anarchie qui règne sur les routes, et surtout le manque d’eau et d’électricité dans son appartement à la rue Monnot. « Un vrai choc. J’ai senti que je ne m’en sortirai pas. J’étais perdue et je me sentais complètement coupée du monde, surtout sans internet. Nous avons beau être avertis, nous ne sommes jamais assez préparés », dit-elle doucement. « Mais bizarrement, comme tout Libanais, j’ai appris à survivre et surtout à m’adapter à ces conditions assez surprenantes. Et j’admets qu’au bout d’une semaine, je me suis sentie très à l’aise dans cette nouvelle vie, surtout qu’à l’université, les étudiants sont très accueillants et très attentionnés, et que les professeurs en sont très proches », dit-elle avant de relever « le niveau élevé des cours », où elle n’a pas trouvé trop de différence avec la France. Et lorsqu’on lui demande ce qui lui plaît dans ce pays, elle répond spontanément : « La facilité d’adaptation des Libanais. » « J’ai suivi leur exemple, je trouve des solutions à tout. » La jeune étudiante sait que le jour où elle ne supportera plus cette vie chaotique, sa place l’attend à son université à Lyon. « C’est cela qui rend la situation plus facile à accepter », avoue-t-elle.
Maria Garriga Zamora. Photo Erika Galleta
Alors que de nombreux jeunes Libanais partent étudier en Espagne, Maria Garriga Zamora, elle, a choisi d’entreprendre sa troisième année de sciences politiques au Liban, à l’Université Libano-Américaine (LAU). « Évidemment j’avais vu tous les problèmes après l’explosion du 4 août, la crise économique, la situation sociale. On m’a déconseillée d’y aller. Mais je trouvais qu’en tant qu’étudiante en sciences politiques et relations internationales, spécialité Moyen-Orient, il était important pour moi d’être sur place pour mieux comprendre la région. Et le Liban m’intéresse beaucoup surtout après ce qui s’était passé durant la révolution », confie-t-elle. Malgré son appréhension, la jeune Espagnole décide donc de s’y rendre et réalise que « ce n’est pas si catastrophique que cela ». « Je m’attendais à voir une ville beaucoup plus chaotique, plongée dans le noir, ce qui n’était pas vraiment le cas », nuance-t-elle. Aujourd’hui, lorsque l’électricité se coupe, je continue ma conversation comme si rien ne s’était passé, raconte-t-elle en riant, avouant que c’est « la soumission du peuple libanais » qui s’habitue à tout et accepte l’absence « de droits qu’ils devraient avoir le plus naturellement possible » qui la perturbe beaucoup plus que les coupures et le chaos de la ville.
Agnès Robini. Photo Malik Lassoued
Mon amour pour le Liban est viscéral et je ne peux pas l’expliquer
En décembre 2020, de passage au Liban dans le cadre d’un stage effectué dans un quotidien libanais, Agnès Robini s’installe au cœur de Mar Mikhaël, et tombe très vite amoureuse de ce pays, « comme beaucoup d’étrangers », tient-elle à préciser. « J’ai toujours été fascinée par le Moyen-Orient, et lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler au Liban, j’ai sauté sur l’occasion. Depuis, je ne l’ai plus quitté », affirme la jeune étudiante. Et pourtant, à l’instar des autres étudiants, Agnès connaît au tout début l’anarchie de la vie au Liban, elle vit au rythme des coupures d’électricité et d’internet, mais s’adapte par la suite aisément aux situations incongrues du pays. À la fin de son séjour, elle est obligée de retourner en France pour poursuivre ses études, et est choquée, à son arrivée, par le décalage entre l’aéroport Charles-de-Gaulle « où tout était suréclairé, hyperluxueux, un vrai gaspillage », dira-t-elle en repensant à l’état de l’aéroport de Beyrouth, et de la ville sans électricité ni infrastructure. Le Liban lui manque, son chaos aussi. Elle décide alors de retourner vivre définitivement à Beyrouth au mois d’avril passé, et s’inscrit au master en information et communication à l’USJ. Si Agnès est toujours sous le charme de Beyrouth, elle admet, qu’un an après l’explosion du 4 août, c’est la tristesse des lieux qui la peine beaucoup. « L’université à la rue de Damas ressemble aujourd’hui à un campus fantôme souvent plongé dans le noir, comme la plupart des rues » de cette ville qu’elle a connue « animée, vivante et si attachante ». Pourquoi aime-t-elle alors tant le Liban ? Elle répond spontanément qu’elle est incapable de répondre et d’expliquer ses sentiments. « C’est viscéral, cela ne se décrit pas. Et c’est d’ailleurs le sentiment de tous les expatriés qui arrivent au Liban. Ils sont émus par la générosité des Libanais. Ils tombent amoureux de ce pays et ne veulent plus le quitter. »
Maelle Liut, étudiante française qui a choisi d’entreprendre sa troisième année de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), avoue quant à elle, que c’est « la qualité de l’enseignement à l’AUB, bien cotée dans cette filière » mais également « le peu de restrictions sanitaires liées au Covid dans le pays » et surtout son « intérêt pour cette partie du Moyen-Orient » qui ont pesé dans sa décision. Mais, à son arrivée, c’est la surprise pour la jeune femme. « J’avais tellement vu de reportages dans les médias qui décrivaient le Liban comme un pays plongé dans le noir, manquant totalement d’eau et de médicaments, dans une des plus terribles crises, que j’ai trouvé que c’était très vivable et pas aussi catastrophique qu’on nous le présentait », raconte-t-elle. « Ce qui m’a terriblement bouleversée psychologiquement au tout début, c’est le contraste entre la misère qui se trouve à chaque coin de rue, plus particulièrement avec les petits mendiants qui se collent aux passants, et l’atmosphère plutôt huppée des étudiants de l’AUB. Deux mondes si différents et si perturbants. » Elle admet cependant que « prendre des cours en ligne avec des coupures de courant de deux heures le matin et deux heures le soir n’était pas aussi évident que cela, mais que l’enseignement en présentiel par la suite s’est révélé une très bonne expérience ». Le contact avec les professeurs est beaucoup plus facile et horizontal qu’en France où jamais un professeur ne vous proposera de le contacter en cas de problèmes, dit-elle. « Avec les étudiants, il a fallu batailler pour socialiser, mais une fois le courant passé, les Libanais retrouvent leur nature très accueillante et surtout très optimiste, ajoute-t-elle. Chez nous, la moindre réforme déclenche des manifestations et la colère du peuple. Les Libanais encaissent plus facilement les coups, s’adaptent et pensent que ce n’est qu’une mauvaise période et qu’ils s’en sortiront très bientôt », déclare Maelle.
Timo Lehaen. Photo Brigitte Van Der Horst
Au Liban, j’ai appris à relativiser
C’est à travers Global Campus of Human Right, un collectif d’universités qui offre des formations dans différents pays, que Timo Lehaen décide de quitter la Belgique, et d’entreprendre un master en droits humains au Liban. Si cet étudiant belge admet « avoir toujours été intéressé par la région du Moyen-Orient, il concède avoir choisi le Liban beaucoup plus pour ce que le programme de l’université offrait, que pour le pays lui-même ». « Je savais que le Liban traversait une crise financière et sociale très importante, j’ai décidé de me rendre sur place pour faire la part des choses. » Le jeune homme prend son courage à deux mains, et s’inscrit à l’université au Liban au mois de septembre. Passé le premier choc face à un quotidien unique au monde, il s’adapte, et admet, au bout de quelques semaines de vie au Liban, que « cela n’est pas aussi invivable que ce que l’on raconte ». « En tant qu’étranger, nous avons les moyens de payer et compenser largement ce qui nous manque. Si nous n’avons pas de courant le soir, par exemple, nous allons dîner au restaurant sans réfléchir à deux fois au coût de la facture. Si l’internet se coupe, nous nous installons dans un cybercafé pour travailler calmement, nous possédons un pouvoir d’achat qui représente un grand avantage aujourd’hui au Liban, et surtout, nous avons la possibilité de quitter le pays, si la situation devient insupportable pour nous. » Timo Lehaen estime avoir énormément appris en vivant dans ce pays. « J’ai réalisé la chance que l’on a de vivre dans des pays où l’on n’a pas à se battre pour des droits que l’on devrait avoir gratuitement. J’ai surtout appris à relativiser les choses dans la vie. Et c’est cela la plus belle leçon que ce pays m’a donnée. »