Plus d’un an après l’explosion au port de Beyrouth, des bénévoles se mobilisent encore pour venir en aide aux populations sinistrées. C’est le cas des étudiants œuvrant sur deux projets portés respectivement par la cellule Droit et la cellule Génie de l’Opération 7e jour (O7) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Par Chantal Eddé, , in L'Orient-Le Jour le jeudi 19 août 2021
Rosy Tawil. Photo Rhea Fahd
Lancés au début de l’été par le comité de pilotage de l’Opération 7e jour de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (O7), la faculté de droit et des sciences politiques (FDSP) et l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth (ESIB) de l’USJ, en partenariat avec l’Unesco, LiBeirut, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), deux projets, gérés par les étudiants, sortent du lot. En effet, ils engagent ces jeunes dans un processus interactif où, d’une part, ces derniers sont à l’écoute des personnes touchées par l’explosion et, d’autre part, ils leur proposent des solutions personnalisées, selon les cas et les thématiques, après avoir reçu une formation ad hoc. « Le Liban est en situation de crise économique et va mal. Donc la moindre des choses est d’aider les gens affectés par l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, ce qui est notre cas et le but de ce projet », explique Anthony Hatem, 20 ans, étudiant en 2e année de génie chimique à l’ESIB, œuvrant pour le projet de la cellule Génie. Quant à Andrew Khoury, qui vient de terminer, à 22 ans, son master 1 en droit des affaires, il confie que le projet de la cellule Droit lui a permis, ainsi qu’à ses camarades, « de sortir de ce cycle de frustrations passives » dans lequel ils étaient enfermés. « Nous voulions faire quelque chose, nous sentions qu’il y avait beaucoup à faire, mais nous ne savions pas où investir nos efforts ni comment aider. Le projet nous a donc donné les moyens d’offrir notre aide et de faire la différence », assure-t-il.
Pour Joe Hatem, coordinateur de l’O7, « l’intérêt de ces projets est qu’ils mobilisent des étudiants bénévoles qui, guidés par des professionnels et des chefs de projet, mettent leur formation universitaire au service de la société ». « En parallèle, ils sont formés pour devenir des travailleurs sociaux œuvrant au sein de la société et apprennent à porter des projets », explique-t-il.
Rassemblant jusqu’à 70 étudiants, le projet proposé par la cellule Droit – qui représente la faculté de droit et des sciences politiques au sein de l’O7 – répond aux besoins juridiques des sinistrés du 4 août. « L’un des problèmes de l’accès aux droits, c’est l’absence d’informations juridiques et de formations, estime Youmna Makhlouf, responsable de la cellule Droit. Ce projet vise à contribuer à l’accès aux droits. »
Réunissant une quinzaine de bénévoles venant de plusieurs facultés de l’USJ, le projet de la cellule Génie – qui représente l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth à l’O7 – propose, pour sa part, des solutions innovantes aux difficultés relevant de la vie quotidienne postexplosion. « Le développement du pays nécessite la participation active de la jeunesse. C’est à nous d’aider les jeunes à jouer ce rôle crucial. Nous devons leur faire prendre conscience de leur pouvoir et de leur rôle dans l’édification du pays », affirme Jihane Rahbany el-Monsef, responsable de la cellule Génie.
Anthony Hatem. Photo Mahfouz Hatem
Un dispensaire juridique désormais à portée de main
Pour son projet, la cellule Droit a mis en place un ensemble de dispositifs liés au dispensaire juridique de la faculté de droit : une assistance téléphonique (hotline) permet ainsi à ceux qui en éprouvent le besoin de contacter l’équipe d’étudiants d’une façon directe. La cellule a aussi mis en place une application mobile qui lui permet de communiquer avec les personnes concernées. En parallèle, le site web créé pour le dispensaire permet à l’équipe d’accéder à un large public, et à celui-ci de profiter des services juridiques offerts par les étudiants, telles les demandes de consultations juridiques que les jeunes bénévoles traitent, divisés en équipe selon les thématiques, ou les fiches d’informations juridiques, relatives aux droits des victimes du 4 août, développées par les étudiants et revues par les enseignants chercheurs avant leur publication. « Les fiches proposent des informations générales. On peut trouver des réponses sans devoir consulter le dispensaire, explique Youmna Makhlouf, la responsable de la cellule Droit. Et lorsque les demandes d’une personne vont au-delà des informations contenues dans les fiches, celle-ci peut contacter le dispensaire pour fixer un rendez-vous. » « Nous avons reçu des cas de licenciements abusifs, des cas de harcèlement, des cas de violence et des problèmes liés aux baux d’habitation, survenus suite à l’explosion », rapporte la jeune étudiante.
Le point fort du projet est qu’il met à la disposition du public des ressources, autrement difficilement accessibles, et qu’il tente de démontrer d’une façon précise et juridique qu’il y a des pratiques contraires aux droits des personnes. « Le dispensaire est comme un traducteur qui permet aux gens de s’insérer dans ce monde judiciaire afin d’avoir accès, jusqu’à une certaine mesure, à leurs droits », poursuit la responsable de la cellule Droit. Celle-ci considère en outre que ce projet constitue pour les étudiants un engagement civique dans la société. « Il s’agit de faire des étudiants et des enseignants chercheurs des acteurs de changement, sortir de l’université pour être en contact avec la société. Ceci va de pair avec la formation juridique qui ne peut pas être que théorique, indépendante de la fonction sociale du droit », insiste Youmna Makhlouf.
Andrew Khoury. Photo Assad Daou
Des propositions de solutions aux soucis quotidiens
Dans le cadre de son projet, la cellule Génie a créé une application web, Outreach 7, qui restera opérationnelle pendant au moins deux ans. « Le projet a deux objectifs : d’une part développer la capacité des jeunes à proposer des solutions innovatrices et d’autre part assurer de l’aide à la communauté qui est aux prises avec des défis », note Jihane Rahbany el-Monsef. En visitant cette plate-forme, une fois inscrits, les individus qui rencontrent des difficultés résultant de l’explosion au port peuvent exprimer des demandes ou poser des questions, sur des sujets tels que la santé, l’emploi, le logement, la justice sociale ou l’éducation. « Avec tout ce qui se passe, et après la tragédie que nous avons vécue en tant que peuple le 4 août, avec la crise économique et la pandémie, les besoins des gens se multiplient », assure Rosy Tawil, 22 ans, membre de l’équipe d’étudiants mobilisés dans le projet Outreach 7.
Formés sur l’innovation et la pensée conceptuelle par la cellule Génie, les jeunes bénévoles répondent aux requêtes en proposant des solutions qui sortent des sentiers battus. « Notre travail consiste à comprendre le point douloureux que ressentent les gens, détecter la source du problème, comprendre les limites et l’environnement, afin de proposer une solution applicable et durable pour eux », précise encore Rosy Tawil.
« Les demandes des gens sont assez basiques et constituent des droits essentiels : aide pour trouver un travail ou un loyer à bon prix. D’autres ont des questions pertinentes qui peuvent constituer des projets de futures start-up », poursuit la bénévole qui entamera bientôt sa 5e année en génie informatique et communication, spécialisation télécommunications.
Parmi les problèmes les plus récurrents soulevés par la population figurent les difficultés financières et la recherche d’emploi. Pour ce, la cellule Génie prépare une base de données, consultable sur la plate-forme, comprenant les ONG qui peuvent soutenir financièrement ceux dans le besoin. De même, les bénévoles de la cellule rassemblent des liens de postes à pourvoir, piochés ici et là, et les envoient aux individus demandeurs. À travers ces mesures qu’elle a prises en dernier, l’équipe de la cellule Génie a réussi à adapter son mode d’action à des besoins reflétant la profonde crise économique que traverse le pays.
Pour contacter Outreach 7, cliquer sur https://outreach7.usj.edu.lb/ ; pour visiter le site du dispensaire juridique https://dispensairejuridique.com/. Et pour accéder à l’application mobile, cliquer sur https://app.dispensairejuridique.com/
Le numéro de l’assistance téléphonique est 81/369736.