Témoin de cycles de destruction et de reconstruction, compte tenu de sa présence sur l’ancienne ligne de démarcation qui a divisé Beyrouth pendant la guerre libanaise, et à quelques enjambées du Port de Beyrouth, l’Église Saint-Joseph des pères jésuites, a été marquée, le vendredi 18 juin 2021, par une ode à la paix et à la fraternité.
Par Roger Haddad
Au sein de l’Église, le Chœur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) accompagné par l’Orchestre philharmonique du Liban, sous la direction de Yasmina Sabbah, ont interprété le « Dona Nobis Pacem » de Ralph Vaughan Williams et des œuvres de Gabriel Fauré dans une mise en scène, scénographie et mise en espace remarquables du metteur en scène interdisciplinaire et créatif Chadi Zein. Cette chimie entre le Chœur et l’Orchestre a donné, selon Sabbah, « une impulsion à l’expression musicale que nous cherchons à transmettre au public. Aujourd'hui, ajoute-t-elle, nous élevons nos voix pour chanter pour la paix et pour un avenir meilleur. Malgré les circonstances douloureuses, compromettantes et singulièrement difficiles dans lesquelles la pandémie et la crise nationale nous ont placés depuis octobre 2019, nous, à la chorale de l'USJ, avons, dans l'intervalle, pu répéter et monter trois productions majeures : le Messie de Haendel, en décembre 2019 ; le Requiem de Mozart en juillet 2020 et la Missa Omnium Sanctorum de Zelenka en décembre 2020. En ces temps difficiles, notre mission est de faire vivre la musique et la culture malgré tout obstacle, car elles sont la pierre angulaire de l'identité libanaise et de son esprit. L'accueil enthousiaste de ces concerts nous a revigorés, alors que nous poussons plus loin dans la célébration de ce qui nous transcende. De la survie à la vie et à l'épanouissement ! »
Hommage et devoir de mémoire
À travers ce concert, limité à un public restreint conformément aux mesures de prévention sanitaire, les organisateurs ont voulu rendre hommage aux libanais qui ont été victimes des horreurs qu’a connues notre pays ces 30 dernières années, « mais aussi, martèle Sabbah, rappeler à nos concitoyens que nous avons tous une responsabilité pressante : celle de ne pas oublier notre histoire tragique afin d’éviter de répéter les erreurs du passé. »
Dans la première partie du programme, le Chœur et l’Orchestre, guidés par Yasmina Sabbah, ont interprété le « Dona Nobis Pacem » — latin pour « Accordez-nous la paix » — une pièce fascinante qui met en musique des textes du poète Walt Whitman, un discours prononcé au Parlement britannique et des éléments de la liturgie. Cette pièce est un appel à la paix, un voyage qui nous transporte des horreurs de la guerre à un plaidoyer universel pour la paix dans le monde. Écrit comme un avertissement avant la Seconde Guerre mondiale, le message de réconciliation et de tolérance de cette œuvre intense nous touche particulièrement, nous, les Libanais, notamment en ces temps d’incertitude et de tension.
Par ailleurs, ce concert ne fut pas uniquement une prestation musicale, mais également une expérience visuelle marquante ! En effet, la projection d’images subtiles et de films sur les parois de l’Église Saint-Joseph, comme autant de traces de la guerre civile libanaise et de ses effets dévastateurs, des disparu(e)s et de l’explosion du 4 août d’une part, et une rétrospective de la représentation de l’Amour à travers l’histoire de la peinture de l’autre (tissage du contenu visuel et direction artistique de Chadi Zein), ont transformé le concert en un spectacle complet, et son espace en une expérience visuelle et sonore, dont le but est de transporter le téléspectateur, et le public restreint présent à l’Église, dans un voyage intense chargé en émotions.
Surmonter la violence par la culture
« Nous avons installé de grands écrans dans l’église et affiché des vidéos et des photos de nos guerres et de notre passé, pour montrer que nous, en tant que Libanais, connaissons la violence et les tragédies de la guerre », explique Sabbah. « Mais la culture, poursuit-elle, peut aider à surmonter cette violence. Chanter et jouer de la musique sont de beaux moyens qui nous font oublier certaines difficultés. Notre travail ne s’est pas arrêté un instant pendant le confinement, à travers des répétitions en ligne ou en petits groupes après l’annulation partielle du confinement, ou en organisant des concerts. C’est une chose importante et fondamentale pour le Liban. Il ne faut jamais négliger la culture et la musique. »
La deuxième partie du concert fut consacrée aux œuvres profanes de Gabriel Fauré, l’un des plus grands compositeurs français de la fin du XIXe siècle, qui a largement contribué à l’essor et au prestige du répertoire français. La plupart de ses compositions mettent en musique les œuvres de grands poètes français comme Victor Hugo, Robert de Montesquiou et Armand Silvestre. Ses œuvres rarement interprétées comme « Les Djinns » et « Madrigal », mais également « Pavane », l’un de ses chefs d’œuvres acclamés par le public, ont été mises en scène durant le concert. Bien que les œuvres de Fauré soient souvent accompagnées de piano, les organisateurs ont voulu faire découvrir au public libanais les versions orchestrales de ces œuvres, qui ajoutent énormément de couleur à sa musique si expressive.
Le concert fut une expérience singulière. La phrase Dona Nobis Pacem a ponctué l’œuvre, qui s’ouvre sur la voix de la soprano Julie Martin du Theil. Bientôt le baryton Philippe-Nicolas Martin, bouleversant et naturel, la rejoint alors que l’œuvre se déploie en cinq mouvements, majestueuse, pathétique, angoissée ou suppliante.
Des horreurs de la guerre à l’ivresse musicale de la paix et de la fraternité !