La nuit est tombée à Beyrouth. Le vent vespéral se lève subitement sur la ville privée d’électricité. Les mots m’échappent alors qu’il y a tellement à dire. J’ai tout mon temps, je retrouverai ces mots bien avant que la ville, dévorée par l’obscurité, ne s’illumine…
Qui ?
Une nuée imposante, toxique, faisant suffoquer 10 452 km2.
Quand ?
Depuis la nuit des temps.
Depuis qu’un instant de disgrâce a fait basculer des générations toutes entières, les piégeant, piégeant avec elles le temps qui s’est figé et ne s’est plus remis à couler, gelé.
Depuis que des infortunés sont tombés sous les mains glacées de bourreaux ingénieux.
Tout est monté dans les meilleures des mesures.
Pourquoi ?
Parce que le destin a lâché prise et voilà que débarque l’impuissance humaine.
Parce que toutes les possibilités abracadabrantes ont été dépassées – non intentionnellement – ne faisant pas le poids avec l’échec venu frapper aux portes.
Comment ?
En faisant croire que les solutions se sont asséchées.
En jouant si bien à la victime que l’acteur est dûment applaudi alors que le pays, agonisant, est meurtri.
En persuadant qu’il ne reste rien à faire face à la volonté suprême, inébranlable, à part l’accepter.
Il n’y a plus rien à faire. Il faut le croire et l’accepter.
Pas si vite.
Oublions-nous qu’il existe sur Terre des centaines d’autres entités dénommées pays qui essaient d’affronter des défis au quotidien sans solutions magiques parachutées, ni courses aux arc-en-ciel désemparées ?
Ouvrir les yeux et scruter attentivement les ressources accessibles suffisent pour lancer l’imagination, étincelle de la création et de l’innovation. Quel curieux mystère !
Quoi ?
Au sud de l’Espagne, à Séville, on pense à l’impensable. Naïfs, les Sévillans croient s’autosuffire et changer le cours de la dépendance en générant de l’électricité à partir de surplus d’oranges destinées à être jetées. Tandis que l'écorce est compostée en engrais, le procédé d'extraction de jus d’orange pour la génération d'énergie électrique se fait par le processus de purification: la matière organique est stabilisée par digestion anaérobie, générant un biogaz riche en méthane utilisé comme carburant dans les moteurs de cogénération pour la production d'électricité.
Mais à quoi bon recycler, sensibiliser à la gestion des déchets quand le pays remue de décharges à perte de vue, prêtes à héberger d’immenses montagnes d'ordures ad eternum, bientôt plus hautes que Qornet el Sawda ?
Mère Nature est si généreuse que l’Homme – non égoïste – a le luxe de gaspiller avidement. Pourquoi donc développer l’écologie et le passage aux sources renouvelables ?
Le devoir appelle. Intrépide, un envoyé spécial dévoué se chargera d'expliquer cela au plus vite à ces sévillans inexpérimentés. Ces débutants comprendront que leur projet est voué à l'évanescence. Alors que s’amoncèlent les victimes d’accidents de la voie publique sur les routes libanaises sombrant dans l’absence drastique de courant électrique, lui seul possède la clé de la réussite : se reposer confortablement sur ses lauriers loin du chaos.
Incroyable ! Qui parle encore d'électricité alors que le soleil, la lune et tous les astres célestes illuminent nos vies?
A bas l'électricité ! Gloire aux exploits des érudits !
Tout est au mieux dans le meilleur des mondes.