« Je t’aime, moi non plus », un regard sur J’ai tué ma mère de Xavier Dolan.

Ribal Chedid
Jeudi 1 avril 2021
Organisateurs


Dans son film semi-autobiographique, Xavier Dolan explore une coexistence entre haine immense et amour profond entre une mère et son fils.

Réalisé en 2009, J’ai tué ma mère (I Killed My Mother) est le premier long-métrage du réalisateur québécois Xavier Dolan. Ayant écrit ce film à 17 ans, puis réalisé à 20 ans, l’enfant prodige du septième art ne tarde pas à faire preuve d’une maturité cinématographique et d’une sensibilité considérable sur la scène internationale, notamment à travers la sélection de son film à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2009, et sa nomination pour le César du meilleur film étranger en 2010.

J’ai tué ma mère raconte l’histoire de Hubert Minel (Xavier Dolan), âgé de 16 ans, qui n’aime pas sa mère, Chantale Lemming (Anne Dorval). Confus par cette relation amour-haine qui l’obsède, Hubert vague dans l’adolescence, rongé par la colère qu’il éprouve à l’égard d’une femme qu’il aimait pourtant jadis.

Durant la quasi-totalité du film, Hubert méprise sa mère, et ne voit en elle que ses pulls ringards, les miettes de fromage sur les coins de ses lèvres, et « tout ce qu’elle n’est pas ». Il dit à plusieurs reprises qu’ils sont incompatibles en tant que mère et fils, et prétend que le créateur lui a donné la mauvaise mère. Il lui dit même directement : « Quand je pense à la pire mère du monde, je n’arrive pas à surpasser ce que tu es ».  D’autre part, sa maman lui en veut d’être ingrat, et de la considérer comme une femme qui est juste là pour lui rendre des services (comme l’accompagner en voiture, lui faire à manger et lui laver son linge), sans la regarder avec plus de profondeur. Ainsi, leur incapacité à communiquer proprement à cause de la dynamique de « manipulation et culpabilisation » instaurée entre eux, et leur vision des choses très divergente, sont à l’origine de cette haine qu’ils éprouvent. Notons bien le fait que Hubert a effectivement « tué » la présence de sa mère (acte freudien) en disant à son professeur que cette dernière était morte, chose qui l’a enragée encore plus. 

 

D’autre part, malgré leur rage mutuelle et apparente, chacun porte beaucoup d’amour envers l’autre. Hubert, sous l’influence de la drogue, s’approche de sa mère et lui tient tendrement les mains, en lui disant tout simplement qu’il l’aime, avec un sourire ivre sur son visage. Il est donc évident que sous l’effet de la drogue, la censure émotionnelle s’estompe chez lui. En effet, il lui dit bien : « Je te dis ça comme ça, pour que tu n’oublies pas », insinuant qu’il ne pourra peut-être pas le lui redire, ou plutôt le lui rappeler, durant des moments sobres où il est pris par la rage. Du point de vue de la mère, cet amour est illustré à un moment très poignant dans le film, lorsqu’avant de partir, Hubert hurle : « Qu’est-ce que tu ferais si je meurs demain ? ». Elle lui répond avec la voix qui tremble, en le regardant s’éloigner, « Je mourrais demain ». Cet échange intense résume la relation complexe et paradoxale entre eux.

 

Le réalisateur québécois aborde par ailleurs d’autres thèmes captivants dans son cinéma, notamment le triangle amoureux (Nos amours imaginaires – 2010), le transsexualisme (Laurence Anyways – 2012), et la décentralisation de soi (Juste la fin du monde – 2016). Il serait intéressant de voir son film Mommy (2014), qui a gagné le prix du jury à Cannes en 2014, ainsi que le César du meilleur film étranger en 2015 ; dans lequel Dolan explore une relation particulière entre une mère et son fils, mais qui est en même temps profondément différente de celle de son premier long métrage. Il exprime dans une interview qu’à travers J’ai tué ma mère, il se venge de sa propre mère, alors que dans Mommy, il la venge.