Le traditionnel colloque du département de philosophie ne pouvant se tenir cette année en raison de la pandémie, il a été remplacé, le 4 décembre 2020, par un webinaire sur la Présence de Kierkegaard. Cette manifestation a couronné un effort déployé par le département, en 2020, pour étendre et approfondir la connaissance du penseur danois. En effet, au cours de deux semestres consécutifs, des séminaires pluridisciplinaires avaient été proposés par le Centre d’Études Michel Henry sur le phénomène affectif dont le penseur danois est l’un des meilleurs analystes. Nous rendons compte, dans les lignes qui suivent, de cette rencontre.
Pour introduire au webinaire, le Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Mme Myrna Gannagé, a rappelé les grandes lignes de la vie et de la pensée de Kierkegaard en relevant combien des œuvres comme Le Concept d’angoisse et La Répétition pouvaient présenter un intérêt pour son domaine de spécialité, la psychologie. A suivi un mot de l’Ambassadrice du Danemark, Mme Merete Juhl, qui a salué cette nouvelle action du département, après le colloque international de 2013, en faveur de la diffusion, auprès des étudiants libanais, de la pensée de son célèbre compatriote. Le Chef de département de philosophie, Mme Nicole Hatem, a pris ensuite la parole pour souligner la présence, déjà très importante, de Kierkegaard dans l’enseignement à la Faculté des Lettres puisque l’introduction à la philosophie se fait, depuis la fondation de cette institution, à travers la pensée de l’existence. Ainsi, a-t-elle ajouté, une seconde chance, est donnée à la philosophie, grâce à la dialectique éblouissante du Socrate nordique, de gagner à elle les jeunes esprits, après l’expérience, pour certains décevante, des classes terminales. Puis, clôturant l’introduction au webinaire, Mme Hatem a précisé que celui-ci comprenait deux grands moments : le premier consacré à des interventions de spécialistes de Kierkegaard et le second à des présentations de travaux originaux d’étudiants.
M. Frédéric Rognon, professeur à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, qui a montré dans son livre de référence sur Jacques Ellul le long compagnonnage de celui-ci avec la pensée de Kierkegaard, a traité de l’influence du penseur danois sur trois grands théologiens protestants du XXème siècle. En suivant sa conférence, les très nombreux participants au webinaire ont découvert quelles étaient les thèses empruntées par Karl Barth et Dietrich Bonhoeffer à Kierkegaard et comment Paul Tillich, bien que traitant des mêmes thèmes que celui-ci est, des trois théologiens, le plus éloigné de lui.
M. Jad Hatem, professeur au département de Philosophie, a voulu mettre en lumière, dans son intervention, la puissance explicative d’un concept kierkegaardien original : le démoniaque ou l’angoisse devant le bien. Dans cette perspective, il a interprété un épisode d’une nouvelle de Flannery O’Connor (Les braves gens ne courent pas les rues) où l’on voit un criminel rejeter le salut que lui offre l’une de ses victimes.
S’intéressant aussi à la présence de Kierkegaard dans la littérature contemporaine, à travers non plus un concept, mais l’image de « saut » que revêt le choix de la liberté, Mme Nicole Hatem a analysé des passages figurant dans les romans de trois grands lecteurs du penseur danois : Mircea Eliade (Gaudeamus), Heinrich Böll (Le Silence de l’ange) et Patrick Kéchichian (La Défaveur). Chez les trois écrivains, a-t-elle montré, est mise en scène le même phénomène de rupture soudaine, irrationnelle et décisive accompagné de la même angoisse face au choix.
Dans le second moment du webinaire, les présentations des étudiants ont été, pour les auditeurs, moins arides que les conférences qui les ont précédées puisqu’elles avaient pour support des power point particulièrement réussis (en raison soit de la fantaisie des montages réalisés soit de la très bonne résolution des toiles reproduites). Ainsi, Mlle Andréa També (département de Lettres), poursuivant l’approche philosophique d’une œuvre littéraire telle que ses enseignants l’avaient pratiquée dans leurs interventions, a étudié le roman Thérapie de David Lodge en utilisant la clef de la répétition kierkegaardienne. Quant à Mlle Elsa Saliba (département de Philosophie), elle a voulu montrer comment il est possible non seulement de déceler la présence de Kierkegaard dans une œuvre, mais également de la faire surgir et de la valider soi-même en rapprochant le philosophe d’un autre créateur. Ainsi, en s’appuyant sur des toiles du peintre et des citations du philosophe, elle a apporté la preuve que les œuvres à thématique religieuse de Georges Rouault pouvaient être une parfaite illustration du Christ de l’abaissement tel que le portraiture Kierkegaard, dans L’École du christianisme. Le discours le plus philosophique de ce webinaire a été tenu par M. Georges Abi Younès (département de Philosophie) qui a tenté, avec un grand souci de précision, une comparaison entre les concepts de contemporanéité de Kierkegaard et d’Unheimlich de Schelling.
Le webinaire s’est conclu par des questions posées par les étudiants aux intervenants et qui témoignaient de leur grand intérêt pour ce qu’ils venaient d’écouter et de voir.