Par Alain E. Andréa, in L'Orient - Le Jour, mardi 9 février 2021.
Alors que la pandémie bat son plein dans le monde, les chercheurs continuent de lutter sans relâche contre ce virus qui ne connaît aucune limite. Mutation après mutation, l’inquiétude s’intensifie autour de ses nouveaux variants. Décryptage avec Marianne Abi Fadel, chercheuse en biochimie et génétique moléculaire.
Depuis près d’un an, le temps s’est arrêté et la vie s’est rétrécie dans l’espace. Cette pandémie, tel un film de science-fiction surréaliste, voire d’horreur, a plongé le monde entier dans une crise sanitaire inédite, imposant la mise en place de mesures draconiennes dans le but de contenir la propagation de ce virus coiffé d’une couronne macabre.
Ainsi, en 2020, lorsque le SARS-CoV-2 avait pris son envol aux quatre coins de la planète, David Montefiori, un virologue de l’Université Duke aux États-Unis, s’était penché sur la question de la susceptibilité de ce virus de muter en se transmettant d’une personne d’un pays, voire d’un continent, à l’autre. Ce chercheur de renom, qui avait passé une grande partie de sa carrière à étudier l’impact des mutations fortuites des virus sur leur capacité à échapper au système immunitaire, craignait en effet que le même sort ne soit réservé au SARS-CoV-2. « Les virus mutent à mesure qu’ils se multiplient dans nos cellules, en effectuant des copies d’eux-mêmes, explique la professeure Marianne Abi Fadel, doyenne de la faculté de pharmacie de l’Université Saint-Joseph (USJ). Ces copies ne sont pas toujours parfaites, car la machinerie cellulaire engendre des erreurs de multiplication au niveau de l’information génétique. Ces changements sont appelés “mutations”. »
Au fur et à mesure que progresse la pandémie, le coronavirus ne cesse d’accumuler les mutations donnant naissance à des variants qui se distinguent du virus d’origine. Quelques-uns de ces variants pourraient s’avérer plus contagieux et virulents que la souche initiale ou pourraient éventuellement compromettre l’efficacité des vaccins. Les scientifiques estiment toutefois que le génome du SARS-CoV-2, formé de près de 30 000 nucléotides (c’est-à-dire l’unité de construction de l’information génétique), subit un certain nombre de mutations qui reste cependant inférieur à celui des virus de la grippe et du VIH. Seulement, une mutation nommée D614G s’est clairement démarquée des autres, affectant la protéine S des spicules présents à la surface du virus, qui lui permet de pénétrer et de contaminer les cellules humaines. De nombreuses autres ont par la suite été observées, la grande majorité sans conséquence notable, oserait-on dire. « Des mutations donnant lieu à trois variants dits préoccupants, rapportés pour la première fois respectivement au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Brésil, puis retrouvés dans d’autres pays, font depuis quelques semaines la une des journaux du monde entier », précise la Pr Abi Fadel, en charge du laboratoire de biochimie et thérapie moléculaire (LBTM) et du laboratoire Rodolphe Mérieux (LRM) de la faculté de pharmacie de l’USJ, tous les deux impliqués dans la lutte contre la pandémie, en collaboration avec la Fondation Mérieux.
Un variant hautement transmissible
L’histoire commence en décembre 2020 lorsque les autorités anglaises signalent à l’Organisation mondiale de la santé qu’un nouveau variant du SARS-CoV-2, baptisé B.1.1.7, a été identifié. Une analyse initiale indique alors que ce variant, porteur de 23 mutations dont la N501Y, a la capacité de se propager plus facilement entre les personnes. Des investigations restent en cours pour évaluer son impact sur la gravité des symptômes, la réponse anticorps et l’efficacité des vaccins. Selon la doyenne, ce variant « semblerait, d’après les différentes études internationales, avoir une capacité très accrue de transmission ».
Quelques jours plus tard, un nouveau variant (B.1.351), également considéré comme hautement transmissible et portant entre autres la mutation N501Y, est détecté en Afrique du Sud. L’étude génomique de ce dernier met aussitôt la lumière sur d’autres mutations, dont la E484K qui pourrait selon des études compliquer la donne en réduisant la capacité de certains anticorps à neutraliser le virus avant qu’il ne puisse pénétrer dans les cellules.
Alors que le monde peinait à se défaire des nouvelles vagues de la pandémie qui continuent leurs ravages, la nouvelle année prenait son élan sous le signe du coronavirus : un troisième « variant préoccupant », le P.1, renfermant entre autres les mutations N501Y et E484K, est détecté au Brésil et au Japon chez des personnes venant du Brésil.
« Les variants actuels ne suscitent pas d’inquiétude sur les résultats des tests PCR effectués lors du diagnostic du virus, vu que ces tests détectent la présence de plusieurs zones du génome viral à la fois, assure la Pr Abi Fadel. Même si l’une de ces zones a muté, comme c’est le cas du variant britannique, les laboratoires seront en mesure de détecter le virus. Cependant, des travaux de recherche sont indispensables afin de détecter et d’étudier l’impact de ces mutations pour limiter la propagation de cette maladie. »
Séquençage des virus
Le but de la surveillance et du séquençage des virus en circulation (c’est-à-dire la détermination de la succession de l’unité formant le génome) est non seulement d’identifier les mutations rapidement, mais aussi de chercher à comprendre leurs effets potentiels sur la dynamique de l’épidémie, la gravité de la maladie et l’efficacité des vaccins. La méthode idéale serait le séquençage de nouvelle génération (NGS) qui permet de lire la totalité des nucléotides qui constituent le virus. Cette méthode de pointe complexe est cependant coûteuse et limitée à des plateformes qui sont actuellement de plus en plus sollicitées dans de nombreux pays, à cause de la survenue de ces variants. Entre-temps, des méthodes classiques de biologie moléculaire, se basant sur la recherche ponctuelle et spécifique des différentes mutations connues ou sur le séquençage d’une région du virus (pour les mutations connues et non connues), peuvent aussi être utilisées. « Nous avons mis au point cette dernière méthode au LBTM pour séquencer la zone codant le spike (spicule) du virus, et déterminer toutes les mutations, connues ou nouvelles, pouvant survenir dans cette partie cruciale du virus, affirme la Pr Abi Fadel. Ce séquençage nous a permis d’identifier la présence des mutations du variant britannique dans des foyers provenant de différentes régions libanaises (Baabda, Chouf, Kesrouan, Kobeyate et Metn). Ces efforts se poursuivront, avec l’appui de l’USJ, de son unité de génétique médicale et du CNRS libanais, afin de rechercher les mutations dans des échantillons provenant d’autres foyers au Liban, et seront complétés par des méthodes de séquençage NGS. »
En attendant, la vigilance collective reste de mise. Elle est cruciale pour pouvoir endiguer la propagation effrénée de cette pandémie dans la perspective d’une immunité collective, grâce au plan national de vaccination, ou en espérant que le virus acquerra par miracle (ce qui est loin d’être le cas) une mutation qui aurait un effet négatif sur sa propagation.