Kalachnikov en bandoulière, visages enténébrés, lèvres exsangues et mortifères, on aurait dit des trentenaires trahis par leurs corps. L’âge de ces enfants ? Un indicible.
Aujourd’hui, c’est la souffrance qui fabrique notre actualité internationale. Si le phénomène des enfants des soldats n’est pas une invention africaine, l’Afrique atteint des niveaux records en termes de recrutement d’enfants-soldats par des groupes armés rebelles. Des milliers d’enfants, plus de 300 000 à l’heure actuelle selon l’ONU, basculent de plein gré ou à leur insu dans une violence barbare. Si les visages d’outre-tombe de jeunes garçons agrippés à leur kalachnikov servent de miroir médiatique, les jeunes filles n’en sont pas épargnées : servantes, esclaves sexuelles, elles sont également prises dans les griffes des prédateurs. Comment expliquer l’engagement massif de ces enfants-soldats en Afrique ? La mort dans leur âme et dans leur corps, qui assumera les meurtrissures de ces rejetons ? Nous traiterons de certaines raisons qui ne constituent certainement pas l’alpha et l’oméga de ce phénomène, mais qui permettront, peu ou prou, d’expliquer la prolifération des enfants soldats dans les crises africaines.
La prolifération des enfants soldats en Afrique tient compte de certaines conjonctures. En effet, pour les chefs de guerre, le recours aux enfants présente certains avantages machiavéliques.
Sur le plan sociologique, le terrain est propice au recrutement. Souvent recrutés ou kidnappés dans les zones de combat ou dans les camps de réfugiés, ils appartiennent à des familles démunies. Dans certains cas, on trouve aussi des orphelins, des enfants de rue, frappés de plein fouet par la paupérisation et le chômage endémique. La pauvreté, les privations, les humiliations, le décrochage scolaire mènent le monde de ces jeunes. Ce chaos social est une aubaine pour les chefs de guerre qui promettent une vie meilleure, une vie héroïque.
Sur le plan économique, l’enfant-soldat est bon marché. Il mange, boit et fume peu. Mal équipé, le plus souvent d’une arme peu coûteuse de type Kalachnikov (achetée à quelques dollars), il perçoit un salaire médiocre ou très souvent même pas. Dans ce cas, il tue, pille pour survivre. En s’arrogeant la vie de certains habitants, il emporte tout ce qui est bon à prendre.
Psychologiquement parlant, l’emprise et la soumission aux chefs de guerre se font sans encombre. Sa fragilité psychologique, son incapacité de discernement sont à la faveur de l’endoctrinement. Comme si l’endoctrinement ne suffisait pas, il faut s’en servir jusqu’à la moelle des os. Sur un terrain de guerre, l’enfant-soldat sert de bouclier humain.
Les conséquences psychopathologiques sont insondables tant les séquelles sont indélébiles. Syndromes post-traumatiques, engrenage de la violence, cycle infernal de drogues utilisées en automédication, suicide, réinsertion sociale pénible, corps et âmes sont fracassés.
Le plus déconcertant, c’est la tranquillité apparente des dirigeants du monde et l’indifférence lorsqu’il s’agit d’une souffrance lointaine. En attendant, jeunes hommes et jeunes femmes, pardonnez notre indifférence. Le coupable, c’est nous. « Nous vivons sur le lieu de la Tragédie. L'Afrique a la forme d'un revolver. Rien à faire contre cette évidence. Tirons-nous. Dessus ou ailleurs, mais tirons-nous ! », pour emprunter la phrase à Gaël Faye. Est-ce le fatum ? Faut-il attendre passivement l’irruption d’un deus ex machina ? La politique saigne dans les mains des ploutocrates. Athènes pleure sa démocratie.