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La philosophie est souvent l’alchimiste de nos pensées. Elle transforme nos réponses en questions, nos vérités en illusions (et vice versa) et l’ignorance en sagesse. Elle nous enseigne à remettre en question ce que nous avons depuis toujours tenu pour vrai, à douter de ce que les autres croient aveuglément, par peur de souffler sur la légèreté de leurs croyances, ou par déception de découvrir que ce à quoi s’est tendue toute leur vie, n’est qu’une illusion. La philosophie ébranle alors ce à quoi les hommes attribuent le nom de « certitude », dévoilant à ceux qui la maîtrisent la précarité de leurs convictions fanatiques. 

En effet, selon Camus, l’absurde naît par une antinomie, celle qui oppose le non-sens inhérent à notre condition et ce désir perpétuellement inassouvi de l’appréhender. 

Or philosophiquement, il n’y a rien de plus dur que la conscience de l’absurde, même si cette lucidité brise ce bagne dans lequel nous y sommes, en désinhibant notre désillusion. Le philosophe, le vrai, sera toujours fidèle à cette réalisation qui n’est pas moins facile que le chemin à emprunter à sa suite. 

L’absurde est une réalité certes beaucoup plus amère à ingérer, mais du moins elle est sincère. C’est une conception qui oscille l’individu conscient entre deux bouts paradoxalement liés : la question de si la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue. Donc, la philosophie de l’absurde nous rend lucide. Par conséquent et inopportunément, cette perspicacité vide le monde de son sens habituel. 

N’en déplaise aux rationalistes, mais cette conscience est épuisable. Elle fait de l’individu un être clairvoyant, d’autant plus qu’elle le contraint à regarder, désormais, le monde, à travers un « prisme philosophique », ainsi qu’elle inhibe ou empêche l’échec de la désillusion. Dans ce sens, rien n’est plus dur que d’accepter que ce monde, tel qu’il est fait, n’a pas d’explication ; or rien n’est plus hermétique que celui qui tente sans relâche de trouver une explication à quelque chose anéanti de toute substance. Alors quelle est la position du philosophe dans ce casse-tête ? 

De consentir à sa condition. Cela lui confère la possibilité d’explorer ce monde, sous l’égide de l’idée certaine qu’il est mortel ; et par conséquent, de se vouer entièrement à cette vie, sans se projeter dans une vie au détriment de celle-ci ou à défaut d’un monde qui correspond à ses attentes. Il s’agit de convertir le désespoir qui en découle sans pour autant, en plus du constat de la raison limitée, diviniser l’irrationnel. D’ailleurs, nier l’absurde est une dénégation qui permet de vivre justement l’absurde. 

Or nous sommes dignes de vie, et nous pouvons, tout en maintenant l’absurde, fonder et épuiser la joie d’être homme. La vie, même silencieuse, même inhumaine, vaut la peine d’être vécue, et l’homme peut triompher de l’absurde, et, à travers chaque souffle du monde, ressentir ce qui jadis tenta de lui arracher ce goût exquis de vivre et d’être.

Et si l’homme cependant pouvait offrir à la vie quelque chose d’indélébile que même la mort, à sa lueur, ne peut subjuguer : la création ? 

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